La maison est une coquille d’œuf. À l’intérieur de cette coquille se cache un monde. L’origine et le devenir dans un même lieu. Des douzaines d’œufs en rangées. Une rue. Une ville.



Mes enfants sont grands et la coquille est fragile. À leur départ, je me rupturerai. Je m’égrainerai. Mes murs s’écrouleront. Que restera-t-il, alors ?



Tout ce qui entre, ressort. J’aménage l’inhospitalier. Je colmate les fissures.











Lorsque j’étais petite, ma mère perçait la coquille des œufs, elle y posait sa bouche et soufflait un bon coup. J’observais de près et j’attendais, impatiente, que le jaune jaillisse. Elle me tendait ensuite des crayons pour que je traduise mes paysages imaginaires sur les coquilles vides. Le soir-même, nous nous nourrissions de ces œufs. Du contenu de mes canevas-bulles extrait plus tôt. Le souffle d’une mère, la transmission de la vie, la nourriture du corps.



Rien n’est retenu. Tout s’écoule.









Je regarde ma mère qui se disperse. L’oubli la fait pleurer, puis elle oublie pourquoi elle pleure. Elle se vide, et je me répands avec elle. Elle me dit qu’elle s’haît. Je lui répète que je l’aime.



La flaque sera grande.









Jaune n'est pas toujours une couleur joyeuse

On a tous vécu le confinement différemment. Isolée à l’intérieur de ma maison, je m’en suis inspirée. Habituellement, je me retourne vers l’autre dans le cadre de mes projets de création. Cette dernière année m’a amenée à faire l’inverse. À réfléchir à la famille et à ce qui m’habite. J’ai eu 40 ans durant le confinement. Ma maternité se transforme. Celle qui me relie à mes enfants et celle qui me relie à ma mère. Mon fils s’apprête à quitter la maison. Ma mère perd la mémoire. J’extraie, ici, quelques objets intimes - une prise de parole autobiographique où s’enchevêtrent deux voix : celle de la mère et celle de la fille. Toutes deux se répondent dans leur perte de repères devant les importantes transformations familiales qui s’opèrent. L’œuf, dont l’image s’impose au fil de mon écriture, symbolise à la fois la maternité, le corps et la maison. Sur les photographies, il s'agit de ma mère. Elle performe un souvenir de mon enfance : celui où elle vidait les œufs avec son souffle.


Je dédie ce début d'extraction à toutes celles qui ont eu le jaune crevé.

2021 : Diffusion dans le cadre de l’exposition collective Dedans/dehors organisée par le regroupement Voir à l’Est (Rivière-du-Loup);
Diffusion à la Bibliothèque municipale de Matane dans le cadre des Journées de la culture;
Production d'une micro-édition au Centre SAGAMIE (résidences INTER-CENTRES).